Le rôle social du préventeur.
Le rôle social du préventeur ou pensons à ne pas oublier l’Homme dans son environnement de travail
Je reprends cet article près de 5 ans après sa première version en février 2013, tout simplement parce qu’il fait partie des articles du blog les plus lus et que cela mérite donc d’évaluer sa pertinence actuelle (22 novembre 2017) – l’article original est lié à celui-ci en format pdf.
Le préventeur santé et sécurité au travail agit dans une sphère entre encadrement et salariés donc également en lien étroit avec les IRP (1) et cela quel que soit son statut. Il se trouve aujourd’hui balloté entre S&ST et QVT, il peut peiner à trouver sa place
- La réglementation est-elle le seul « juge de paix » dans son positionnement.
- Est-il réellement objectif ? et comment peut-il l’être ?
- Est-il partisan ? et doit-il l’être ?
- Quel positionnement au sein d’une organisation ?
Ces sont des questions que vous trouverez peut-être ridicules selon votre positionnement dans l’entreprise, cependant chaque préventeur peut et doit se poser ces questions. A côtoyer différents préventeurs, je rencontre une certaine éthique chez de nombreux professionnels (ces valeurs étant parfois à l’origine d’un mal-être de la fonction).
Certains éléments sont incontournables et factuels :
- Un accident du travail ou une maladie professionnelle (quoique vérité ici, erreur ailleurs...),
- La réglementation,
- Le classement d’un produit chimique,
- …
1 – Sur le point de la réglementation, tout est vrai jusqu’à ce que la jurisprudence fasse évoluer chaque sujet. Mais sur le sujet de la perception des risques il reste de véritables champs d’investigations pour le préventeur, en commençant par lui (peut-être avons-nous une perception faussée de certains risques par notre sensibilité?).
Sur le point des AT et MP, de nombreuses pratiques de chasse au « Tf » sont néfastes à la prévention et la QVT par le recours en excès :
- Au poste allégé,
- À la prime au non accident
- A la mise en congé ou récupération de l’accidenté
Ces éléments lorsqu’ils sont mis en place peuvent être difficiles à gérer pour le préventeur car si, parfois, la mise en place ressort d’une base louable, les dérives, lorsque les managers sont objectivés et donc rémunérés sur cette base, sont courantes.
L’objectif Tf est, de mon point de vue, le premier indicateur d’un manque de maturité de l’organisation qui le met en place ! et c’est devenu, pour moi, un véritable challenge de basculer vers des indicateurs de performance réellement motivants sur lesquels le manager est acteur plutôt que s’objectiver sur une sinistralité potentielle.
2 – Dès lors, le préventeur que je suis se positionne en garant des règles et parfois en conciliateur ou facilitateur. Un acte de prévention est avant tout une façon de manager et de partager sur la santé et la sécurité en général ou certains diront du bien-être. Toutefois, notre perception accuse un certain biais par la sensibilité exacerbée à certains risques car nous avons une connaissance plus large des sinistres (ceux de notre périmètre et la veille que nous faisons toutes et tous sur ce sujet).
Le préventeur est l’un des seuls à avoir cette approche de technicien parfois proche de la fonction RH et à d’autres moments hyper techniques sur un risque particulier et sa matière première reste l’Homme. Et c’est bien par ce positionnement qu’il se trouve comme un lien social réel au cœur de l’entreprise.
Je suis convaincu que parler d’un risque, c’est déjà régler une partie du problème. Lorsque le salarié craint de s’exposer à un risque et donc de travailler selon les exigences de son poste par manque d’information c’est un potentiel facteur de RPS (2) (je suis légitime d’avoir des craintes, on ne me dit pas tout !). Le préventeur doit interpeler là où les opérateurs de premier rang ou les managers n’osent pas ou ne voient pas.
Par exemple, un retour d’expérience quasi quotidien nous montre que les produits que nous utilisons dans nos laboratoires d’analyses évoluent vers des classements plus nocifs pour la santé que ce que nous « pensions ». Et cette réflexion est vraie également pour nos activités domestiques (bisphénol A, sel d’aluminium, paraben,…)
En parler, c’est déjà se protéger :
- Le salarié comprend les précautions qui entourent les manipulations et il active plus facilement les moyens en place.
- L’entreprise peut se pencher sur le problème concret de la substitution si cela est possible ou s’orienter vers des protections collectives voire tout autre moyen de prévention adaptée.
L’objectivité me semble être difficile à tenir sur le long terme et c’est humain. Nous apprécions le risque en partie de manière subjective en lien avec notre vécu. C’est donc faire preuve d’humilité et d’ouverture que de demander à un collègue de critiquer votre action voire de faire auditer vos pratiques et outils par un expert pour recaler sa propre perception et ses croyances.
3 – Et, parler de risques est-ce déjà être partisan ?
- Je suis certain que nous avons toutes et tous notre sensibilité. Il existe donc des sujets que nous abordons d’une manière plus extrême que d’autres selon notre vécu professionnel et personnel ainsi que notre formation.
- Il est régulier de s’entendre dire, face à une question soulevée : « il n’y a pas de problème, personne n’en parle, … »
- Le lanceur d’alerte peut être une dérive au sein d’une organisation qui ne fonctionne pas lorsque les visions direction vs fonction S&ST peuvent être décalées.
Par son rattachement, généralement, le préventeur est plus proche de la direction que des IRP. Mais sa « matière première » étant l’activité réelle (et non la réglementation !), son travail réel doit être plus proche du terrain.
Au-delà de l’approche réglementaire, le préventeur connaît tous les risques professionnels de son organisation. Il a une vision également sur l’ensemble de la sinistralité, parfois y compris en dehors de son organisation, aussi il peut devenir partisan (volontairement ou non) par le développement de sa sensibilité et les données qui l’alimentent.
Le préventeur doit néanmoins se positionner en vecteur de performance d’entreprise, ainsi la fonction nécessite également de prioriser, hiérarchiser parfois des domaines difficiles à comparer : entre risque chimique, risque routier et RPS, est-ce possible ?
Son profil fait que c’est, a priori, le seul généraliste de ce sujet dès lors qu’il a suivi un cursus universitaire dédié, qu’il prend le temps de se former et de s’ouvrir à d’autres organisations.
Le levier principal du préventeur est son activité de prévention des risques liés à la santé et la sécurité au travail. Que l’on soit du côté employeur ou employé, aucun ne souhaite une absence suite à un accident du travail ou une maladie professionnelle voire sur un sujet moins évident qu’est le mal-être au travail. Et aujourd’hui on agit autant sur l’absentéisme AT-MP que sur la maladie.
Les enjeux pour une équipe de direction ou les opérateurs face à un risque professionnel ne sont que rarement les mêmes. L’art du préventeur se trouve dans ses canaux et vecteurs de communications pour transformer une crainte ou une règle en opportunité. Mon approche est souvent celle-ci, ne jamais aborder un sujet ou un risque par le pan réglementaire mais plutôt sur les avantages à en tirer pour chacune des parties (et ne soyez pas dubitatifs, cela fonctionne et permet de désamorcer des sujets qui peuvent paraître délicats !). Et c’est ainsi que l’on évite la position trop partisane pour accéder à une position de résolution objective de problème.
4 – Le profil du préventeur est l’un des seuls dans l’entreprise à pourvoir aborder une grande partie des sujets de la qualité de vie au travail et pourtant on le voit très peu dans les échanges.
Si l’on reprend les 6 pétales de cette « définition QVT » proposée par l’une des ARACT, le préventeur a son rôle à jouer dans chacun des axes.
Relations au travail et climat social : il est en lien avec les personnes sur le terrain à travers les études liées à l’EvRP, les analyses de postes,… Il intervient également auprès des IRP sur les sujets de S&ST.
Contenu du travail : qui d’autre est en mesure d’aborder le travail réel vs travail prescrit au sein des entreprises ?
Santé au travail : la base de son activité
Compétences, parcours professionnels : les sujets de S&ST sont une partie intégrante de ce pétale ne serait-ce qu’à travers les formations obligatoires et les parcours d’intégration.
Egalité professionnelle : pour avoir moi-même traité un accord dérogatoire sur le handicap pendant plusieurs années, je confirme que ce sujet est en lien avec la fonction de préventeur. Lien qui se renforce dès que l’on évoque les sujets d’usure professionnelle ou de conciliation vie privée/vie pro dans le cadre de la gestion des tensions et ressentis du travail.
Engagement – Management : Un levier indispensable à la réussite d’une démarche S&ST comme de QVT, ce pétale étant pour moi inutile ou mal nommé dans cette définition QVT ou plutôt devrait-il être une donnée d’entrée ou un chapeau mais certainement pas un élément au même niveau que les autres. Ce qui est décrit dans ce pétale étant plus du partage (culture partagée) que de l’engagement / management.
Le préventeur qui par sa formation et son approche est normalement apte à travailler sur ces sujets est catalogué hyper-technicien alors que la plupart des sujets de QVT font partie de son champ de compétences. Il y a sans doute, ici, une difficulté de la vision de la fonction de prévention par les dirigeants.
Le développement de fonctions « normatives » va également à l’encontre de la fonction « animateur sécurité » originelle ou hygiéniste du travail qui sont axées sur le terrain et moins sur la recherche du certificat. Si bien que je me demande parfois si les formations de préventeurs ne sont pas galvaudées et trop axées sur le management et justement cette recherche de certificats au détriment du travail réel.
Chacun trouve pourtant, à travers les sujets de santé, sécurité et qualité de vie au travail, de vrais sujets communs de travail entre partenaires sociaux dans les termes.
Le préventeur terrain (qui s’appelait il n’y a pas si longtemps animateur sécurité) est l’un des acteurs pour faire de la santé des salariés une véritable dynamique durable au sein de l’entreprise :
- L’entreprise y trouve l’intérêt de préserver ses forces vives, l’ambiance de travail, aider dans les échanges avec les IRP, …
- Les IRP et plus largement les salariés se retrouveront dans les réussites, la réduction des contraintes, les aménagements et une communication facilitée.
Pour autant que le préventeur ne soit pas cloisonné à une tâche réglementaire ou de conformité et qu’il puisse s’ouvrir aux autres pratiques par les échanges, la participation à des conférences, …
Le préventeur a un objectif qu’il ne doit pas perdre de vue, prévenir durablement les risques en agissant sur l’organisation, la technique et les Hommes. Et tout ceci doit commencer par une meilleure compréhension de sa fonction au niveau de l’équipe dirigeante.
@ votre écoute
Jerome
(1) Instances Représentatives du Personnel
(2) Risques Psycho-Sociaux